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J'ai terminé hier la lecture d'un livre que j'ai trouvé génial. Il s'agit de Les heures, de Michael Cunningham. Dans cet ouvrage, il est question de trois femmes, Virginia Woolf (une écrivaine), Clarissa Dalloway (une femme assez ordinaire) et Laura Brown (une mère de famille). J'en ai même mis une citation où le fils de Laura doit porter une tasse de farine dans un plat pour préparer un cake et cela prend une importance phénoménale, c'est incroyable! Ce livre nous plonge dans l'univers simple, à la fois commun et particulier, de ces trois femmes. Ce qu'il y a d'absolument incroyable et qui a donné le sujet de mon article, c'est qu'à la fin, on ne sait plus qui est réel et qui ne l'est pas. C'est un peu la même chose que dans un film génial lui aussi, un homme d'exception (de Ron Howard) où le même phénomène se produit pour le spectateur durant le film: qui est réel, qui ne l'est pas?
Qu'est-ce qui fait donc la différence entre le réel et la fiction? C'est certainement la première question qu'on se pose à travers ces deux oeuvres. Cependant, il n'est pas aisé d'y répondre. J'avais déjà un peu abordé cette question dans un précédent article, titré Le monde et nous, présentant une vision de Franz Brentano qui ouvre le grand courant de la phénoménologie dont Husserl est l'un des auteurs les plus connus. Je vais traiter la question du point de vue d'un phénoménologue, sans toutefois accepter uniformément ce type de pensée. Tout d'abord, il faut savoir que tout ce que nous percevons est un phénomène, je l'expliquais déjà dans l'article précité. Du fait que je perçoive quelque chose, ce dernier a déjà une certaine forme de réalité, du fait même que je le perçoive. Donc, par exemple, la petite fille que voit le Prof. Nash dans un homme d'exception a une certaine réalité. Cependant, cela ne signifie pas encore qu'elle soit réelle au sens où elle serait une petite fille née d'un homme et d'une femme. D'ailleurs, il y a une réplique assez incroyable dans le film où le Prof. dit qu'elle ne peut pas être réelle parce qu'elle n'a pas grandi. Elle constitue un phénomène réel pour le Prof. Nash, mais elle n'est pas une personne du monde présent. Maintenant donc, que pouvons-nous tirer de là? Eh bien, nous devons tirer de cet exemple que nous pouvons percevoir la réalité plus largement que ce qu'elle n'est. C'est pour cela que Husserl propose ce qu'il appelle une Epochè, une mise entre parenthèses, une méthode un peu similaire à celle du doute de Descartes, sans toutefois permettre un doute réel (il s'agit de mettre de côté des connaissances acquises dont nous ne pouvons pas être certains, sans toutefois chercher à les nier). Cette méthode a ses limites, en particulier dans la vie de tous les jours: par exemple, nous devrions parfois mettre entre parenthèse notre voisin pour pouvoir évaluer son existence dans le monde réel, ou encore le sol de l'autre côté de la porte. (On voit là que ça peut poser problème, nous menant tout droit vers une folie assez impressionnante: comment est-ce que j'oserais encore faire un pas?)
Dans Les heures, de Michael Cunningham, le doute ne plane pas une seconde pendant la lecture du roman: il est clair que Mrs Woolf (Virginia) est l'écrivaine et l'inventrice de Mrs Dalloway (Clarissa) et que Mrs Brown (Laura) est une lectrice assez commune de ce livre. Virginia et Laura sont donc des personnages réels tandis que Clarissa ne l'est pas. Cependant, la dernière phrase du roman vient tout bousculer, dans un chapitre sur Mrs Dalloway: "Venez, Mrs Brown, dit-elle. Tout est prêt." La question vient alors tout de go: Est-ce que Clarissa et Laura sont une seule et même femme? et du coup, est-ce Clarissa qui est réelle ou Laura qui est imaginaire? En regardant le roman par après, on se dit qu'effectivement, il y avait pas mal de ressemblances de caractère entre ces deux femmes; entre les trois, même... Peut-être que Virginia est un peu différente quand même... Finalement alors, qui est réel? qui ne l'est pas?
Mais ne devrions-nous pas nous poser une autre question, en lieu et place de celle-ci, une question où nous pourrions trouver une réponse... Il suffit de nous demander ce qui est réel dans une certaine optique et le tour est joué! La parenthèse peut s'élargir ou se rétrécir selon les besoins. Ainsi, Mrs Dalloway est bien réelle dans l'optique du roman de Mrs Woolf et constitue un personnage différent de Mrs Brown. Dans l'optique du monde concret, elles peuvent être une seule et même personne, cela ne change en rien l'optique précédente. La réalité est une entité que nous ne pouvons pas atteindre directement, nous devons passer par le langage et par nos sens. Ainsi, nous avons accès à une réalité d'une optique particulière. C'est certainement ainsi qu'il faut aussi comprendre Wittgenstein lorsqu'il dit que les limites de mon monde sont les limites de mon langage (et nous tendons ainsi à un solipsisme absolu).
Nous sommes donc ramenés à nous demander ce qui est réel pour nous et non ce qui est réel intrinsèquement. Ainsi, un mirage au milieu du désert peut avoir autant de réalité pour nous que le lit dans lequel j'ai passé la nuit ou l'ordinateur sur lequel j'ai tapé ce texte. Toutefois, nous n'entrons pas ici dans la question de la réalité en tant que telle, de la réalité intrinsèque. Cette question n'est, je pense, pas réellement analysable, puisque nous n'avons pas un accès direct à cette réalité, il est toujours médiatisé, soit par nos sens, soit par le langage, soit encore par autre chose. Personnellement, ce doute de l'existence me donne l'occasion de penser que tout est bien plus compliqué que de dire simplement c'est vrai ou ce n'est pas vrai. La réalité n'est pas la même pour moi que pour elle, bien qu'elle ait de nombreux points communs. Ainsi, Mrs Dalloway prend une réalité certaine tant pour Mrs Woolf qui la crée que pour Mrs Brown qui l'imagine en la lisant ou encore que pour le lecteur du roman qui voit cette femme sculptée tant par l'écrivaine que par la lectrice.
PS: Si vous n'avez pas encore lu ce livre, je vous le conseille vivement! M. Cunningham, Les heures, aux éditions 10/18. Quant au film Un homme d'exception, il vaut vraiment la peine aussi, il est en DVD! Ces deux oeuvres sont vraiment incroyablement faites et font réfléchir pas mal! Vraiment, ça vaut le coup de s'y attarder!!!