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Le journal de Newton

Le vocabulaire est un riche pâturage de mots. (Homère, Illiade)


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Que sont les noms?
--> Essai de philosophie du langage

Comme je l'ai annoncé en fin de semaine dernière, après mon examen écrit sur l'interprétation du "si... alors" chez Lewis, je me lance dans un premier essai en philosophie du langage. J'aborderai la question de savoir ce que sont les noms, qu'est-ce qu'ils veulent dire, qu'est-ce qu'ils disent et comment le disent-ils. En plus, nous aborderons la même question pour les phrases. Je vais dans un premier temps vous présenter deux textes, l'un de Gottlob Frege ("Über Sinn und Bedeutung") et l'autre de Saul Kripke ("Naming and Necessity"). Dans un deuxième temps, j'essaierai de formuler quelques critiques et questions... J'attends avec impatience vos réactions.

Commençons donc par la théorie de Frege, et tout d'abord de sa théorie des noms que nous pourrons étendre aux phrases un peu plus loin. La première question que se pose Frege est celle de l'identité de deux mots. a=a et a=b sont-ils identiques? Nous pouvons certes répondre que non, puisque a=a est vrai sans que nous connaissions ce qu'est a (quelque chose est toujours identique à soi-même), tandis que a=b n'est pas forcément connu comme vrai. Nous devons donc réfléchir à ce que veulent dire les termes a et b. Il faut d'abord distinguer avec notre auteur trois "propriétés" des noms. Chaque nom a une dénotation, un sens et une représentation. La dénotation du nom est l'objet auquel il renvoie (par exemple "vénus" renvoie à la planète nommée vénus); le sens du nom est la manière de désigner l'objet (par exemple "étoile du soir" ou "étoile du matin" pour désigner la planète vénus); enfin, la représentation est l'appréhension subjective du nom et qui est différente (de par la subjectivité) pour chacun (je ne me fais pas la même image qu'Aliena du mot "Vénus"). Voilà. D'abord, supposons que dans les énoncés d'égalité les signes renvoient aux dénotations des termes. Dans ce cas-là, a=a et a=b disent exactement la même chose, mais, intuitivement, cela n'est pas correct (quand on dit "vénus est vénus" ou "vénus est l'étoile du soir", on ne dit pas vraiment la même chose). Les signes ne peuvent pas renvoyer non plus à la représentation, puisque cette dernière est purement subjective et que le langage rend une certaine objectivité. Les signes renvoient donc au sens des mots. a=a et a=b ont dont trait à la manière de dénoter, et non au dénoté-même. Ainsi, ces propositions peuvent nous apporter une information essentielle. Je vous passe quelques détails de la théorie (dénotation et sens habituels ou indirects) qui ne me paraissent pas essentiels.
Passons aux phrases. Que désignent les phrases? D'abord, le contenu d'une phrase est une pensée et cette pensée est le sens de la phrase. Mais quelle est la dénotation (l'objet visé) de la phrase? Selon Frege, il s'agit de la valeur de vérité de la phrase, c'est-à-dire le fait qu'elle soit vraie ou fausse. Le problème est que selon cette théorie, la dénotation de la phrase ne rend pas compte de la singularité des propositions, puisque toutes les propositions vraies ont la même dénotation, et il en va de même pour les propositions fausses. Pour les subordonnées, il faut souligner que parfois les propositions ont pour dénotation non une valeur de vérité, mais une pensée, et elle doivent alors être comprises comme des noms propres.
Passons maintenant à la théorie de Kripke, un peu plus simple d'accès. Il n'aborde d'abord que la question du nom, et pas du tout celui de la phrase. Première question: y a-t-il une connotation pour les noms propres? Je donne un exemple: la ville anglaise de Dartmouth (traduit littéralement "embouchure de la Dart") doit-elle nécessairement se situer à l'embouchure de la Dart? Non, répond Kripke, bien que les noms ont une connotation, mais cette dernière ne fait pas partie de la signification du nom. Les noms sont en fait différents des descriptions qui peuvent renvoyer à l'objet désigné par le nom (on reviendra un peu plus loin sur comment désigne un nom). Par exemple, Nixon n'est pas exactement identique au "président des USA élu en 1969". En effet, Nixon désigne toujours le personnage de Nixon, qu'il ait été élu ou non comme président des USA en 1969. L'identité de Nixon et de "le président des USA élu en 1969" est donc contingente (elle aurait pu ne pas être), tandis que l'identité de Nixon avec le personnage "Nixon" est nécessaire (elle n'aurait pas pu ne pas être). Kripke présente donc le "comment" désignent les noms. Il s'agit d'une chaîne causale, dans le cadre d'une communauté linguistique. Par exemple, les parents de "Nixon" ont baptisé leur enfant "Richard Nixon". On parle de lui, on fait référence à lui, son nom se transmet de maillon en maillon. Ainsi, je peux parler de "Richard Nixon" sans pourtant le connaître et avoir dû dire "cet homme est Richard Nixon". Kripke s'arrête un peu là dans sa théorie; il dit d'ailleurs que ce n'est que l'ébauche d'une théorie et non une théorie entière...

Voilà pour cette longue présentation... Je vais donc être bref dans la suite où j'aimerais soulever quelques pistes de réflexion. Tout d'abord, par rapport à Frege (la première théorie) dans sa vision de la dénotation des propositions. Peut-on en effet accepter que ce que désigne une phrase est le vrai ou le faux? Est-ce que les concepts de "Vrai" et "Faux" sont des entités réelles auxquelles on peut faire référence? Il semble que c'est un peu arbitraire de supposer cela. Il me semble qu'il est plus évident de dire que les propositions vraies font référence à un état-de-choses du monde tel qu'il existe, tandis que les propositions fausses font référence à un état-de-choses absent du monde tel qu'il existe. Quant aux noms, la distinction entre dénotation, sens et représentation me semble bonne, mais elle a le défaut, dans les énoncés d'identité, de supprimer la différence entre a=a et a=b si les signes renvoient aux objets, et elle ne permet pas de rendre une vraie identité si elle veut signifier l'égalité de deux sens d'un même mot. En effet, s'il s'agit de sens différents, ils ne sont pas égaux. Il faudrait donc parler de sens différents d'une même dénotation, dans un schéma quasi triangulaire...
Contre Kripke, maintenant, il me semble que les objections sont beaucoup moins fortes, peut-être par le simple fait qu'il ne prend pas vraiment le risque de proposer une théorie réelle... Cependant, on peut tout de même dire qu'il est difficile de comprendre la chaîne causale comme appartenant à une pure communauté linguistique: en effet, qui a l'autorité pour dire faire passer un mot d'une langue dans une autre, c'est-à-dire d'une communauté linguistique à une autre? S'agit-il à nouveau d'un "baptême"? Ce passage est délicat, et il requiert peut-être la participation de Quine pour y répondre, mais ce sera l'objet d'un autre article, celui-ci est déjà largement assez long...

Alors, que pensez-vous de tout ça? J'attends vos réactions avec impatience!!!

Article de newton, à 20:47 dans la rubrique "Philosophie".
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Les réactions à cet article :

 
Aliena
Aliena
27-09-04
à 21:17

Frege, l'homme qui rend fou!

Super article! Je trouve que ce que tu dis est très clair et on sent que tu as déjà passé du temps à étudier ces sujets. Bravo donc!
J'aime beaucoup ce que tu dis à propos du problème de la dénotation des phrases, cela me paraît très sensé et juste. Personnellement, je trouve Frege assez difficile à comprendre et il y a encore un point ou deux (sur lesquels tu ne t'attardes pas) qui me sont obscurs... Pour le reste, je sens que ton article m'a aidée à comprendre un peu plus la théorie de Frege, en vue d'un certain examen... Merci!
Je ne me suis pas vraiment penchée sur Kripke, même si nous avons traité sa théorie des chaînes causales au cours. Ce qu'il dit est assez intéressant, mais je ne suis pas convaincue, pour les raisons que tu évoques et aussi intuitivement.

A part ça, je suis convaincue que tu vas cartonner à l'examen et même passer un bon moment de discussion avec Mme la Professeure N.-R! Et quand ce sera fini, petites vacances! J'ai hâte... Aa et P-E.

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newton
newton
07-10-04
à 19:26

Petite comparaison

Comme mon examen final approche, je me suis repenché sur les textes dont je vous ai parlé dans cet article. Je me suis dit qu'il pourrait être intéressant de fournir une petite comparaison entre les deux, même si les différences peuvent paraître immenses d'un premier regard...

Cependant, avant cette comparaison, j'aimerais encore faire une petite remarque quant au texte de Frege, sur le rapport entre sens et dénotation d'un terme, et leur relation avec la proposition et les valeurs de vérité. La dénotation d'un terme est toujours un objet. Il s'agit de l'objet concret, celui qui existe dans la réalité. Or, la dénotation contient les sens d'un terme. Donc, nous devons dire que l'objet comprend les sens que nous pouvons donner au terme qui le dénote. Ceci est très intéressant, mais aussi un peu problématique. En effet, c'est intéressant dans le sens que ça change la nature de la vérité. Nous ne sommes plus obligés de considérer que la valeur de vérité est une entité métaphysique de type platonicienne: il peut s'agir de l'ensemble des propositions vraies! Et cet ensemble est constitué de toutes les propositions dont le nom propre a une attribution qui lui convient (c'est-à-dire une attibution correspondant à l'un des sens possibles). Cependant, cela pose un problème dans le sens que les attributs d'un objet peuvent changer et si l'objet contient ses sens (ses attributs), l'objet lui-même change et donc, la dénotation d'un même terme change... Le problème peut toutefois être résolu en disant que la dénotation comprends les sens par les termes et donc, la dénotation ne change que corrélativement au terme et donc, il y a toujours possibilité d'une identité.

Passons maintenant à la comparaison. Je pense en effet que Frege et Kripke ne sont pas absolument incompatibles, malgré les apparences. Il semble que les deux auteurs partent simplement d'un point de vue différent, à savoir pour Frege le point de vue allant de l'homme à l'objet et pour Kripke le point de vue allant dans le sens inverse. Une différence assez importante se fait dans ce que Frege appelle le "sens" qui appartient au nom, tandis que chez Kripke, la connotation (ce qui correspond au "sens" frégéen) existe bel et bien, mais n'appartient en rien au nom. Si l'on regarde selon la différence de point de vue que j'ai proposée, Frege propose la réception d'un objet par quelqu'un qui le désigne d'une certaine manière (c'est-à-dire selon un certain sens) pour déterminer quel est cet objet. Au contraire, Kripke propose un objet donné, et l'homme nomme cet individu (au sens logique du terme, c'est-à-dire que ça peut être quelque chose comme quelqu'un). Kripke ne regarde que du côté de l'objet, tandis que Frege regarde du côté de la possiblité pour l'homme d'y référer.

Je sais que tout ça peut paraître un peu étonnant, mais je pense que c'est à développer... Peut-être est-ce que cela vous semble inintéressant, mais je crois que c'est en fait bien plus intéressant que cela n'y paraît, en particulier lorsqu'on se penche très sérieusement sur et dans un texte!

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