Le journal de Newton

Depuis deux semaines, je bosse à 100%... Pas facile tous les jours de la quitter le matin, de ne la retrouver que quelques instants à midi et de la retrouver plus longuement seulement le soir, lorsque la fatigue commence déjà à se faire sentir... C'est un nouveau rythme à prendre, de nouvelles manières d'être à instaurer, de nouveaux fonctionnements. J'ai tellement de peine à la quitter le matin lorsqu'elle dort encore.

C'était un moment magique de l'entendre se réveiller alors que j'étais juste à côté d'elle, à quelques mètres. Je me glissais alors dans le lit, près d'elle, et la prenait dans mes bras. Ces petites choses-là ne sont plus, c'est comme si elles ne pouvaient plus être... Le changement est parfois difficile à accepter, mais il faut y faire face, évidemment. On ne peut pas faire comme si tout était identique à avant. Cependant, il n'est pas facile de trouver la solution la plus juste, la plus adéquate, la plus belle. Et comment savoir que c'est cette solution-là? Est-ce vraiment possible? Qu'est-ce que je fais faux? Qu'est-ce que je ne fais pas bien? Toutes ces questions se bousculent, elles cherchent chacunes à être à la première place dans ma petite tête. Non, ce n'est vraiment pas évident cette impression perpétuelle de pouvoir mieux faire mais de ne jamais y parvenir. L'acceptation de la différence n'est pas évidente. Certes, depuis toujours nous sommes différents, mais beaucoup de choses nous unissaient et nous réunissaient. Là, depuis quelques temps, nos chemins se séparent un peu du point de vue pratique: elle est dans ses études, je suis dans le travail. J'aurais envie d'être là quand elle rentre des cours, j'aurais envie d'aller suivre quelques cours avec elle, "comme avant".

Mais est-ce que cette envie de "comme avant" n'est pas fausse? Est-ce que cette envie n'est pas une sorte de fantôme qui plâne dans mon esprit? Lorsque le changement est là, il y a finalement trois genre de possibilités: avancer en regardant en arrière ("comme avant"), avancer tête baissée ("il faut y aller") ou regarder vers l'avant ("?"). Evidemment, le temps passe et le changement qui s'impose ne se laisse pas ignorer complètement: on est obligé d'avancer, impossible de lutter contre le temps! Même un ermite au fond de sa cabane dans le tréfond de la forêt amazonienne ne peut ignorer que nous devons avancer avec le temps.

Bref, des trois possibilités que j'ai évoquées avant, il me semble que de ne faire que regarder en arrière n'est pas bon. Je crois que ce n'est pas sain de se tourner toujours vers le passé, il faut savoir vivre de l'avenir aussi, ne pas croire que rien ne changera. Le changement est le signe de la vie, le signe du bonheur, certainement. Mais oui, le changement est source de bonheur. La lassitude vient vite lorsqu'il n'y a pas de changement. Seulement, le changement n'est pas toujours visible et il faut savoir le regarder pour trouver le bonheur, pour le voir face à soi et se dire que oui, il est possible et c'est bien pour nous qu'il est là! Donc, la deuxième possibilité, aller tête baissée n'est pas bonne non plus, il faut oser regarder sa vie, celle de ses proches, de ses amis, de son épouse, de sa fiancée, de ses enfants, de sa famille, finalement la vie de ceux qui font ma vie... Pourquoi faire l'autruche ne m'intéresse pas? C'est certainement lié à ma conception de la vie: la vie est belle et il faut savoir la vivre pleinement. Pas seulement le moment présent, mais le moment présent pris dans un ensemble. Il faut dire que ce moment présent n'est pas un hasard, il est le fruit du passé et la racine du futur. Le moment présent est quelque chose qu'on ne peut jamais saisir: à peine aperçu, il s'est déjà évanoui dans le passé. Ne regarder que l'instant présent n'est donc pas la bonne solution, du moins pour moi. Et alors l'avenir? C'est cette fameuse troisième possibilité. Oui, c'est sûrement celle-ci la bonne, me dis-je de premier abord. Et bien oui, pour avancer, il faut savoir regarder l'avant, quoi de plus évident? Ce n'est pas si simple. Si je regarde vers l'avant mais que tout ce qui est derrière moi s'effondre, comment puis-je savoir et être sûr que ce qui est devant moi est quelque chose de stable? En plus, je ne vois jamais bien loi, du moins pas clairement. Il faut peut-être envisager une autre solution: se séparer de son chemin pour voir une vie dans le moment présent qui s'inscrit dans une histoire. Est-ce que finalement il ne serait pas bon de prendre les trois possibilités à la fois? Oser regarder le moment présent tourné vers l'avenir construit sur un passé toujours plus beau?

C'est peut-être mon rêve, le rêve de ma vie: savoir construire à chaque instant quelque chose de beau sans l'oublier ensuite mais en me disant aussi que ce paysage sera encore plus beau demain. La vie est un perpétuel changement, mais le changement n'est pas facile à accepter. Je dois apprendre à l'accepter, à le vivre surtout... Face au changement, je suis seul et en même temps entouré de gens que j'aime et qui m'aiment, en particulier d'une fille extraordinaire à qui j'ai envie de dire "merci" à chaque instant. Elle est si extraordinaire. Elle me donne la main au-dessus de ce précipice, je n'ai aucun risque de tomber, même si ça paraît très haut et très dangereux. J'avance avec elle dans la confiance. Que demander de plus? Le bonheur n'est-il pas là, à portée de main?